RETEX - Reçit d'un accident d'avalanche

Un membre du CAF d'Annecy m'a fait part de l'accident dont il a été victime le WE dernier. Je partage ce récit avec son accord et en ayant pris soin de l'anonymiser, dans un but pédagogique. Son récit est riche d'apprentissages. Cette personne possède déjà une bonne expérience de la montagne, ce qui n'a pas empêché certains biais et concours de circonstance d'arriver à l'accident.

 

8 mars 2024. 9h20. Groupe de 2 personnes (X et Y).

Nous quittons le parking de Pralognan-La-Vanoise, le dos bien chargé pour un objectif de raid en boucle de 4 jours. Nous souhaitons rejoindre le refuge de la Dent Parrachée.

Le temps est maussade mais pas si moche, globalement froid ce qui est bon signe pour le manteau neigeux. Quelques rafales en fond de vallée m’interpellent cependant et là-haut, sur les crêtes et les aiguilles, ça défouraille clairement. Je visualise mentalement notre principal col à franchir, à 2900 mètres d’altitude comme bien plus bas que ces sommets, ce qui me conforte dans le choix de poursuivre notre marche. Une erreur car le col est situé à une altitude similaire. En regardant la carte j'aurai pu m'en apercevoir mais avec du recul j'imagine difficilement le renoncement dès le parking..

            Rapidement, nous quittons le domaine de ski de fond sécurisé pour nous engager dans la très longue marche plane du fond de vallée pour rejoindre le refuge du Roc de la Pêche, heureusement ouvert comme nous le verrons plus tard. Nous poursuivons sans nous y arrêter, nous sommes à présent sur un plateau d’altitude avec une belle vue sur les sommets avoisinants. La situation venteuse ne s’est pas arrangée, au contraire, nous prenons de très fortes bourrasques et quelques rafales que j’estime à plus de 80 km/h. Au loin nous apercevons un groupe engagé dans une pente sous un petit col que j’identifie, à tort, comme le col d’Aussois, notre objectif. Mon altimètre faussé sur ma montre vieillissante me conforte dans cette réflexion, indiquant 2400 mètres d’altitude, soit 500 de plus à monter. Nous sommes en réalité 500 mètres plus bas, et le col que nous voyons n’est “que” le passage des Planettes…

            Nous nous engageons sur la première “petite” pente raide de la journée (35°) , celle qui partira une heure plus tard.. A ses pieds aucun signe de purge ou de coulée ancienne,  des chalets y sont même construits (chalets du Ritort) “signe d’endroit sûr” me dis-je. Sur cette pente, des Arcosses dépassent du manteau neigeux, confirmant mon sentiment (faussé) de sécurité que je remettais pourtant en doute car la pente orientée NO est en train de se charger avec le vent de SE très fort… “Nous ne faisons qu’y monter, on ne redescend pas par-là” voilà ce que je me dis alors que nous terminons de gravir ces 300 mètres de dénivelé sous un vent qui a encore forci.

X me fait part de son inconfort et de ses doutes, je l’encourage, croyant toujours que le col des Planettes bien visible et tout proche est notre point de passage à venir. Nous rejoignons le chalet de Rosoire quelques centaines de mètres plus loin et je comprends que le col d’Aussois que nous devons emprunter est en fait bien plus haut et encaissé au fond d’une combe fermée par une barre de nuages très menaçants. Le vent a encore forci. Nous décidons de faire demi-tour.

recit avalanche1

 

Le groupe que nous voyions d’en bas nous a rejoint, eux aussi ont décidé de faire demi-tour et de rejoindre le refuge du col de la Pêche. On se dit qu’on s’y retrouve quelques minutes plus tard et nous entamons notre descente avec X.

Je décide de passer devant pour tracer la pente un peu plus raide que nous avons emprunté à la montée. Rive gauche un goulet sans végétation ne m’inspire rien de bon par son profil d’entonnoir. Je pars en traversée descendante plein N pour couper la pente. La pente est très très chargée. Nous prenons un écart de quelques dizaines de mètres. Je sonde. ça pue, c’est lourd.


            Je continue quelques mètres en pensant que ça s'aplanit, c’est une erreur. J’arrive sur l’entrée d’un petit talweg, j’identifie le danger (talweg = entonnoir creusé par le ruissellement), je me retourne pour dire à X de faire demi-tour, qu’on va descendre plus à gauche.

 

13h24 Avalanche

Seconde 1 – Incompréhension

Je vois X partir comme en lévitation, je ne comprends pas, je me retourne et regarde mes pieds, je vois des cassures qui apparaissent autour de mes skis.

Seconde 2 – Réalisation

Je regarde le haut de la pente et vois que tout dégueule autour et vers moi. je continue à glisser. je me retourne à nouveau vers X et vois qu’elle n’est pas prise dedans, c’est un soulagement instantané mais je me dis qu’elle va devoir gérer la recherche DVA et qu’on a pas fait d’entrainement récemment.

10 secondes – Dans la coulée

La coulée m’entraîne dans le goulet, je prends de la vitesse, je perds un ski et mes bâtons. Je comprends que je suis très mal engagé. le goulet n’est pas linéaire et forme une petite dépression dans laquelle je tombe et quasiment tout de suite je suis entraîné sous la coulée par les tas de neige au-dessus de moi. Tout devient noir. je repense au début de journée et me dit que j’aurai pas voulu ça.

Je tente de survivre en bougeant frénétiquement les bras pour créer de l’espace autour de mon visage. Subitement un énorme paquet de neige m’arrive en pleine face et entre dans ma trachée. Je suffoque, je me noie, je ne peux plus respirer. mes mouvements deviennent frénétiques. J’ai un flash du formateur du PGHM qui nous a parlé à l’équipier de la différence entre ceux qu’on découvre avec de la neige dans les voies respiratoires et je comprends que je n’aurai pas mes 15 minutes d’espérance de survie. Je pense à X qui va me retrouver tout bleu. Je pense que ça va être une mort douloureuse.

Sortie

Alors que je suis au fond, subitement je me retrouve en surface et l’avalanche se fige. Elle m'a éjecté avant de s’arrêter. J’ai encore un ski à un pied. Je me tourne instantanément vers X et l’aperçoit, je lui fait un grand signe “OK”. Je retire mon ski. Je suffoque toujours. Je n’arrive à respirer que par très petites aspirations. Tout à coup j’arrive à tousser et éjecter de la flotte, je peux reprendre une plus grande aspiration qui fait un bruit affreux de flotte. Une deuxième inspiration, je tousse et crache beaucoup. Troisième etc.. Je comprends que je suis stabilisé pour le moment.

Après

Je me tourne vers X, le groupe l’a rejoint mais ils ne comprennent pas ce qui est arrivé. Un snowboarder descend et passe à mon niveau avec sa GoPro sans s’arrêter. Je fais de grands gestes du bras pour leur dire de rester bien à droite (rive gauche) car je visualise que toute la pente n’a pas purgé, surtout à gauche, et qu’il faut qu’ils descendent dans les arcosses. Les suivants du groupe, avec le guide qui est avec eux, comprennent qu’il y a eu un souci. Ils descendent tous avec X qui est un peu choquée. Je quitte la zone de coulée et marche en direction du refuge, je ne perds pas de temps. Je tousse beaucoup. Je n’ai pas froid. On me demande comment ça va, je réponds “bien pour l’instant” mais je veux atteindre le refuge qui va maximiser mes chances de survie en cas de blessure interne et je n’ai plus qu’un ski donc je ne traîne pas. (en gros).

Je marche le kilomètre jusqu’au refuge où j’explique ce qui m’est arrivé, me mets au chaud et prend un appel avec médecin du PG qui décide de faire monter l’hélico pour m’extraire du milieu et m’amener à l'hôpital. Je tousse encore beaucoup.

Je suis soucieux que X ne descende pas seule mais très rapidement elle trouve la solution et rejoindra la voiture avec un groupe de skieurs qui descend sur Pralognan-la-Vanoise.

Environ 15 minutes plus tard l’hélico se pose à côté du refuge, je suis palpé, mis sous O2 car 92% de sat’ et on décolle vers 15h direction hôpital de Saint Jean de Maurienne. Je suis admis aux urgences à 15h40 et y resterai jusqu’à 22h en observation, radio des poumons ok. j’ai une respiration sifflante à l’arrivée qui s’estompe dans la soirée. Nous reprenons la route pour Annecy avec X vers 22H30 et nous arrivons vers minuit à Annecy.

DEBRIEF

Je n’ai à aucun moment été surpris par les évènements (sauf la seconde de déclenchement évidemment) , j’ai compris que c’était une zone de merde avant que ça déclenche, j’ai compris ce qui m’arrivait, j’ai compris ce qu’il fallait faire post-avalanche pour limiter le sur-accident = pas de lacune de formation sur ce cas particulier.

La météo annonçait une fenêtre météo avec un vent qui allait forcir en début de soirée. Sur le terrain le vent à forci beaucoup plus tôt et la fenêtre météo a disparu. j’aurai dû annuler sur le terrain en analysant le vent trop fort et d’une orientation problématique.

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Environ 40 m de large sur 150m de dénivelé. 30 cm d’épaisseur de cassure minimum (env 40 de moyenne à la louche). Altitude 2150. Fin avalanche 2000. Neige type travaillée, pas d'aérosol. Gros blocs et boules en bas. Pente à 35°.

BERA a 3 en orientation O/NO (avalanche orientée NO) / BERA a 2 sur autres orientations.